13 février 2025
Dans notre série d’articles destinés aux amateurs de musique et de métiers d’exception, découvrez aujourd’hui le portrait de Romain BOULANGER, musicien de passion et artisan menuisier et facteur de Cor des Alpes de métier (l’un des deux derniers fabricants professionnels de Cor des Alpes à perpétuer ce savoir-faire !!).
Rencontre avec Romain
Le travail du bois comme une évidence
Romain a 33 ans, et outre ses origines alsaciennes, c’est un enfant de la vallée. C’est en 1993 que ses parents rachètent l’Ancienne Scierie Guelpa située aux Clefs pour y habiter et commercialiser les gîtes. Ce lieu de vie, équipé d’un large préau abrité et de grands ateliers lui a inspiré son métier : la menuiserie. Il a développé son activité de manière saisonnière les premières années en étant dameur à La Clusaz l’hiver et menuisier le reste de l’année.
Il crée son entreprise de menuiserie en 2021 dénommée Alp’In Wood, qui propose de l’agencement et de la pose d’isolation, de terrasse, de parquet, de lambris ou de menuiserie intérieure et extérieure. Romain fabrique également des parets, luge locale inventée à Manigod et qui servait de moyen de déplacement pour les enfants de la vallée. Il s’est formé auprès des anciens qui lui ont appris les bons gestes de fabrication, ce qui permet de faire perdurer les traditions et le folklore local. Romain élargit son champ d’action et ajoute une nouvelle activité à son établi qui allie ses deux passions, le travail du bois et la musique : la facture instrumentale de Cor des Alpes.



Musicien passionné depuis le plus jeune âge
En parallèle, il développe une passion pour la musique. C’est à l’âge de 6 ans que Romain découvre la musique et commence l’apprentissage de la trompette au Centre de Pratique Musical de Thônes (CPMT). Il exerce toujours cet instrument, et cela depuis 24 ans, au sein de l’orchestre amateur de l’Harmonie de Thônes « l’Écho de la Tournette », regroupant uniquement des instruments à vent (cuivres : trompette, cor d’harmonie, trombone, euphonium, tuba & bois : hautbois, flûte traversière, clarinette, saxophone). Il enseigne également la trompette aux élèves des classes du CE2 au CM2 du Groupe Scolaire Arthur Thurin de Thônes impliqués dans le projet « d’Orchestre à l’École ». Au fil des années et pour diversifier ses pratiques, il apprend de manière autodidacte le cor d’harmonie, la guitare, le piano et le tuba.


Sa rencontre musicale avec le majestueux Cor des Alpes
C’est lors d’une randonnée au Parmelan qu’il s’essaie au Cor des Alpes en 2000 et rejoint en 2014, pour les aider, 4 amis musiciens (amateurs et passionnés) du groupe des Lou Philosophes qui jouent également du Cor. La passion grandissante pour cet instrument, il achète en 2017 son premier Cor des Alpes à Jean-Noël PLACE, fabricant amateur de Cor des Alpes basé à Annecy-le-Vieux.
Lors de l’Alps Music Festival, organisé chaque année dans les Aravis, Romain assiste à une représentation et rencontre les Sonneurs de Savoye. Ce groupe de passionnés de Cors des Alpes créé en 2004 se réunit une fois par semaine à Seynod pour répéter. Composé d’une dizaine de personnes, Romain y intègre les rangs en 2019 et en est aujourd’hui le vice-président et leur fabricant de Cor attitré sous sa marque Alp’In Wood. Cet ensemble musical s’illustre dans plusieurs manifestations d’ampleur locale et internationale comme les fêtes de village, les événements privés (mariages, séminaires…), le retour des alpages à Annecy, la Coupe du Monde de ski à Val d’Isère ou encore le Tour de France. Le groupe a reçu plusieurs distinctions et a fini 1er au Concours International de Cor des Alpes de Nendaz dans le Valais Suisse.
L’idée naît en 2019 d’allier ses deux passions et Romain se forme donc à la fabrication de Cor des Alpes auprès de Jean-Noël PLACE. Ce dernier lui transmet toutes ses connaissances et ses savoir-faire et épaule Romain dans la fabrication de son premier Cor. Romain et Jean-Noël se voient encore assez régulièrement pour échanger sur l’évolution des instruments en fabrication à l’atelier.


Les origines du Cor des Alpes
Depuis le 14ème siècle… à nos jours
Le Cor des Alpes apparaît au 14ème siècle dans toutes les Alpes, notamment en Suisse, en Autriche, en Allemagne et en France. À cette époque, les instruments étaient plus petits (60 à 80 cm de long) et étaient utilisés par les vachers gardant les troupeaux en alpage comme moyen de communication entre eux et avec les habitants des vallées. Par le biais de signaux sonores, le Cor des Alpes permettait de prévenir des dangers et de donner des informations des alpages. Par exemple, un air encore joué de nos jours annonçait la montée et la descente des alpages : Le Ranz des Vaches.
À la fin du 17ème siècle, les mœurs évoluent et le développement des fruitières dans les villages favorise la production de fromages en vallée. Le nombre de vachers vivant à l’année en alpage diminue considérablement, entraînant la perte de l’usage du Cor des Alpes.
À partir du 19ème siècle, le Cor des Alpes connaît une renaissance en tant qu’instrument de musique, qui est depuis ce temps, de plus en plus apprécié pour son beau son rond et grave.
De nos jours, cet instrument à vent de la famille des cuivres a su allier authenticité et modernité et fait aujourd’hui partie du folklore des régions alpines. Son beau son et son aspect en font un instrument qui intrigue et suscite l’intérêt des gens. Romain constate un intérêt grandissant :
Les gens veulent tester et de plus en plus de personnes se lancent dans l’apprentissage du Cor des Alpes.
La fabrication de cet instrument hors-normes
Les prémices des Cors des Alpes
Les premiers Cors étaient fabriqués dans un seul morceau de bois, ce qui explique que les Cors des Alpes étaient plus petits. Pour cela, les artisans prenaient un arbre ayant déjà une forme recourbée au niveau du pied du tronc. Il s’agissait souvent d’arbres poussant dans les pentes des forêts du Jura. Le tronc de l’arbre était fendu en deux parties et évidé. Une fois le bois taillé à la bonne épaisseur, les deux parties étaient réassemblées et scellées à l’aide de rotin ou d’osier, ce qui assurait la durabilité et la robustesse de l’instrument.
Déjà à l’époque, le bois utilisé pour la fabrication de cet instrument était de l’épicéa. Cette essence de bois présente de nombreux avantages : léger, robuste avec une excellente résonance qui permet de produire des sons clairs et lumineux. L’épicéa est également largement utilisé dans la fabrication d’instruments de musique comme la guitare, le violon et autres instruments à cordes. Romain confirme :
Je ne prends que de l’épicéa qui vient du Jura. La qualité du bois est importante pour avoir un bon rendu final !


La fabrication artisanale à la fois traditionnelle et moderne
Sa fabrication a su garder des techniques ancestrales tout en apportant certains procédés de fabrication plus modernes et facilitateurs. Le Cor des Alpes est toujours fabriqué à partir d’épicéa dans la majorité des cas. Il peut aussi être fabriqué dans un bois de résonance appelé Arole, variété de pin qui pousse dans les Alpes.
Aujourd’hui, cet instrument en bois mesure environ 3,50 m et pèse 3 kg. Le procédé de fabrication reste le même, le morceau de bois est toujours fendu en deux et creusé de l’intérieur. L’une des principales différences est que, le Cor des Alpes est composé de 3 parties plus une embouchure qui s’assemblent, facilitant le transport. Le Cor n’a donc plus besoin d’être réalisé dans un seul tronc d’arbre recourbé à la base. Romain découpe ses morceaux de bois selon la taille nécessaire pour réaliser chaque pièce de l’instrument. Il faut ensuite dessiner les différentes parties ainsi que la forme recourbée du pavillon et les creuser, à la machine puis à la main pour atteindre une belle courbure et une épaisseur de bois de 7 mm, permettant au Cor des Alpes d’être dans la bonne tonalité.




On retrouve généralement 2 tonalités pour les Cors des Alpes. un Cor en Fa qui permet de jouer avec un orchestre d’Harmonie par exemple, et un Cor en Fa # (fa dièse), idéal pour jouer avec d’autres Cors des Alpes.
Qu’est ce qu’une tonalité ? En musique, la tonalité donne la couleur d’un morceau et est distinguée par les dénominations « majeure » (air joyeux) et « mineur » (air triste). Si plusieurs instruments jouent en même temps dans des tonalités différentes, alors le son sera dissonant et sans harmonie à l’oreille. |
Les deux coquilles creusées sont réassemblées par la suite avec de la colle blanche. Désormais, le rotin est utilisé à titre décoratif. Les pavillons des Cors de Romain ont une ouverture de 25 cm.


Presque l’intégralité des pièces sont faites en bois, y compris l’embouchure réalisée en bois tourné. L’embouchure permet de créer le son grâce aux vibrations des lèvres exercées contre cette dernière. Seules les jointures sont en plastique ou en aluminium.


Romain nous confie :
Le Cor des Alpes c’est une quinzaine de pièces en bois à assembler en plus de l’embouchure. Pour la fabrication d’un Cor des Alpes classique de 3m50, je pars de 80 kg de bois brut. J’en ai pour 100 heures de travail environ. Pour le petit Cor des Alpes que vous voyez là, il mesure 1m40, il est bien plus léger. Je travaille environ 20 heures dessus. C’est un modèle réduit qui fonctionne très bien, il est en tonalité Si b (si bémol), comme une trompette ou une clarinette. Il peut servir d’objet décoratif posé sur son support ou permettre l’initiation de ce bel instrument aux plus petits.


La dernière touche de cet instrument est la pose de vernis à l’intérieur et à l’extérieur, en 3 couches, pour apporter protection et durabilité à l’instrument. Le vernis pour l’intérieur du Cor est mis avant le collage des deux coquilles entre elles.
Romain se lance un nouveau défi et va maintenant s’afférer à fabriquer un nouvel instrument, de la même famille que le Cor des Alpes, le Büchel, sorte de clairon en bois.


Infos pratiques
Combien de Cor des Alpes fabriques-tu par an ?
Depuis 2021, j’en ai fabriqué 15, uniquement sur commande. Je souhaite augmenter un peu la production et ainsi en avoir d’avance pour répondre à des demandes plus rapidement.
Remarques-tu un intérêt grandissant pour la pratique de cet instrument ?
C’est sûr que le Cor des Alpes revient de plus en plus, c’est un instrument qui suscite de l’intérêt et qui interpelle, par sa forme, sa taille imposante et son son grave et rond. D’autant plus lorsque le Cor des Alpes résonne dans l’écho des montagnes environnantes.
Ce qui est assez surprenant, c’est que je reçois des demandes un peu de partout, de France et de l’étranger : États-Unis, Canada, Chine… j’ai même reçu il y a peu une demande de Nouvelle-Zélande. Ce n’est qu’une demande mais c’est amusant de voir qu’un menuisier installé dans le petit village des Clefs reçoive des demandes d’aussi loin.
Peux-tu nous donner une fourchette de prix pour l’achat d’un Cor des Alpes ?
En général, il faut compter entre 3 000€ et 4 500€ en fonction du fabricant, de l’essence du bois utilisée…
Rencontrez Romain et échangez avec lui lors des prochaines dates suivantes :
- Samedi 28 juin 2025 : à Albigny, lors du Festival des Musiques du Genevois organisé par l’orchestre d’harmonie l’Union Musicale de Cran-Gevrier.
- Juillet & août 2025 : lors de divers Concours Internationaux dans le Valais en Suisse.