Laurie et Robin, en couple, sont tous les 2 passionnés de sport et de nature. Habitant à Thônes depuis octobre 2019, ils transforment nos montagnes en véritable terrain de jeux. Après le premier confinement, ils se sont lancés le pari fou de réaliser le tour du Mont-Blanc (au départ de Thônes) d’une manière quelque peu originale… l’un en vélo gravel et l’autre en parapente. Voici leur récit !

Portrait : qui sont-ils?

Mais avant de vous partager leur récit, il nous semblait important de vous les présenter !

Laurie et Robin, tour du mont blanc en vélo et parapente au départ de Thônes
Laurie et Robin

Laurie Genovese est double championne du monde de parapente en 2014 et 2017. Elle vole depuis qu’elle a 14 ans à travers le monde, au rythme des compétitions. Elle sera d’ailleurs l’une des trois femmes sur la ligne de départ de la Redbull XAlpes 2021. Cette course de marche et vol est la plus dure au monde. Il s’agit de rejoindre Salzburg en Autriche, à Monaco sous son parapente et à pied uniquement. Elle partage son temps entre son activité de Kinésithérapeute, monitrice de parapente, et ses entraînement de sportive de haut niveau.
>> Son Instagram : @laurie.genovese

Robin Issartel est un voyageur au long court. Il découvre la photographie durant ses études d’architecture à Lyon. Il allie donc ses passions pour raconter ses voyages à travers le monde. Il apprécie particulièrement le vélo pour découvrir de nouveaux horizons.
>> Son Instagram : @robinissartel

Le récit a été rédigé par Robin et Laurie.
Toutes les photos ont été prises par Robin et Laurie et sont «tout droits réservés»

Chapitre 1 : Le projet

Tout a commencé d’une idée de confinés. Avec Laurie nous rêvions d’un ailleurs proche. Un ailleurs moins exotique, à l’heure des grandes résolutions environnementales. Un ailleurs au milieu de montagnes que nous croyons connaître. « Le voyage débute au seuil de sa porte » disait l’autre. À force d’arpenter les sentiers, les crêtes, les ruisseaux à côté de la maison, nous souhaitions tout de même sortir du bocal. Le tour du Mont-Blanc nous parut comme une évidence. Nous pratiquons tous les deux le trail, le vélo et le parapente. Nous avions d’abord pensé à réaliser un tour par activité, car ces dernières nous garantissaient leurs lots de difficultés propres.

Carte tour du mont blanc vélo parapente depuis thônes

Depuis le dé-confinement, nous guettions la météo favorable selon nos disponibilités. Laurie souhaitait privilégier le vol pour tester sa nouvelle aile une Zeolite d’Ozone paragliders. Un petit vélo parait-il ? Parfait, madame veut voler, et bien, je roulerai. Nous nous amusons donc à nous imaginer, elle en l’air, moi sur ma bicyclette arpentant les chemins gravitant autour du plus haut sommet d’Europe.

En 2018, peu après avoir bouclé des milliers de kilomètres de pistes en Asie-Centrale je me suis fait voler mon vélo, mon copain d’aventures, mon fidèle destrier. Après presque deux ans de deuil, il me fallait retrouver un compagnon avide de liberté. Mon 25ème anniversaire fût l’occasion de justifier un cadeau personnel : mon premier gravel. Ces vélos de route un petit peu plus musclés permettent de rouler sur presque tous les types de chemins: le compromis idéal pour moi, rouler avec Laurie sur les routes des Alpes et m’autoriser quelques aventures sur les chemins de traverses que j’aime tant.
(Robin)

Gravel : GT GRADE CARBON EXPERT

Chapitre 2 : l’aventure commence…

Jour 1 : THônes – Cormet de Roselend

Robin

Nous sommes déjà en retard. Notre copain Rody, lui à l’heure pour filmer Laurie, finit de se préparer en nous attendant devant la maison. Laurie est un peu tendue, elle déteste être en retard, surtout que le timing est primordial, en marche et vol. Un simple regard me fait comprendre qu’il ne faut pas s’éterniser. Nous entamons notre première étape de la journée: départ de la maison, à Thônes, et direction le col des Aravis. Je monte par le col de la Croix Fry, j’en profite pour saluer nos copains de Manigod. Je roule tranquillement afin de me préserver pour les plus de 400 kilomètres et 12 500 mètres de dénivelé positif. Je laisse derrière moi Laurie en arrivant au col des Aravis. Elle vient d’arriver au sommet du plateau de Beauregard. J’espère secrètement que nous nous recroiserons plus tard dans la journée.

J’entame enfin la piste en direction du Col de l’Arpettaz sous l’envers des faces Est de l’Étale et du Mont Charvin. Ça y est, j’y suis. Je teste pour la première fois mon vélo gravel sur du chemin, j’accélère. L’excitation du départ, la vision du Mont-Blanc, et la fierté de pédaler si vite sur mon beau vélo me rappellent de vieux souvenirs. J’en oublie que mon cadre carbone n’est pas aussi résistant aux chocs qu’un cadre acier !

Je ralentis un peu mais pas suffisamment pour éviter qu’un de mes deux bidons ne s’échappe avant de venir se fracasser contre la piste rocailleuse. Un bidon de moins, il me reste 850 ml, ce qui ne fait pas grand chose en cette chaude journée. Je quitte la piste après avoir englouti une tarte à la myrtille au col de l’Arpettaz, et file à Ugine pour ma pause déjeuner.

Pour pallier mon manque d’entraînement, il fallait à tout prix que je gère au mieux mon alimentation et mon hydratation.

Avec un bidon en moins et sans un vivre en poche, je me force à remplir ma gourde dès les deux tiers vidés et à me nourrir régulièrement.

Après un faux raccourci dans les bois, une tentative de réparation de mon bidon cassé à Arêche- Beaufort, j’aperçois une aile bleue sortir d’une crête. Pas de doute, c’est elle !! Je l’appelle… pas de réponse. Je lui laisse un vocal lui disant que je suis le seul cycliste torse nu sur la route. Elle survole les Saisies à basse altitude, je jubile en me disant que l’on va peut-être arriver en même temps. Je décide d’appuyer un peu plus sur la pédale, la pente du col du Pré va vite me calmer. L’euphorie commence un peu à me quitter laissant place à l’effort. J’adore cette sensation, le moment où tu te dis que ça va commencer à être dur, où le moindre ralentissement de la cadence est une incitation à la pause.

Dans ces moments-là, j’aime sourire, montrer à la difficulté que je suis plus fort qu’elle. C’est mon côté insolant. Chaque bosse est propice à la moindre taquinerie. La musique m’aide également beaucoup. Avec elle je suis réellement capable de transformer les pleurs en fous rires, la douleur en une sensation de bien être.

La longue distance et la bonne humeur m’ont appris à mentir à mon cerveau au quotidien. Quelques coups de pédale et gouttes de sueur dans les yeux plus tard, me voilà sur le barrage de Roselend: un air d’Irlande ou bien de Kirghizistan et un petit creux m’invite à faire une pause gaufre. Tout juste rassasié, me revoilà zigzagant entre les lignes blanches de la montée vers le Cormet de Roselend. Une montée progressive au milieu de steppes et de montagnes. La route longe un ruisseau, l’asphalte restitue la chaleur accumulée durant la journée. Je rêve d’un bain frais. Tout d’un coup le bitume laisse place au paysage. J’aperçois des parapentistes, je la vois. Les rayons du soleil couchant transpercent le tissu ultra léger de sa Zeolite. Plus une voiture sur la route, le temps s’arrête, je suis arrivé ! Je dégage mon pied de ma pédale automatique d’un coup sec. Je m’autorise une pause contemplative avant de rejoindre le panneau du col. Nous partageons un repas avec Rody dans son van, une ancienne ambulance. C’est avec le ventre rempli que nous gagnons la tente.

La délicieuse chaleur de nos duvets délie nos langues. Nous nous racontons notre journée, les yeux déjà fermés, la fatigue sans doute ou juste l’impatience de rêver au lendemain.

Laurie

La Zeolite est magique, avec la Stayup, le combo est parfait, le virage est précis et décrocher les petits thermiques entre les sapins est un jeu d’enfant. Je finis par avoir l’altitude nécessaire pour me jeter sur le plateau et prendre les thermiques affluant sur la face Est. Je fais le plafond avec un vautour, j’avance sur la Montagne d’Outray où je reprends de l’altitude, je survole la via ferrata du Roc du vent puis traverse plein Est… Sans un virage, en thermo-dynamique, je saute de caillou en caillou dans ce massif si escarpé jusqu’à atteindre la Pierra Menta. Je me pose dans les hauteurs, pour un goûter à base de fruits écrasés aux petits soins par ma poche et en profite pour faire une sieste pendant que Robin pédale dur dans la montée du col. Je me remets en l’air pour une session de soaring jusqu’à la nuit, le temps que Robin termine son ascension. Un repas au chaud dans le super camion de flyroad et une belle nuit sous tente. L’aventure commence bien !

Jour 2 : Hospice du Grand Saint-Bernard

Robin

Réveil presque à l’heure en ce deuxième jour. Pas de réseau là-haut, impossible de checker mon itinéraire avant le départ. Je demande un morceau de carte routière à un automobiliste. Ce soir, je dois dormir au Col du Grand Saint Bernard. Je ne dois pas louper la bifurcation qui doit me faire prendre le tracé de randonnée du TMB. Je partage un bout de chemin avec Laurie. Encore blottis dans nos doudounes, la foulée est déjà rapide. Je serre les freins, nous échangeons un baiser avant de prendre chacun notre chemin vers l’aventure. Après une descente frigorifique, je demande à un guide si l’itinéraire pour le col de la Seigne sera possible avec mon gravel. Il me répond que parfois les quads ont du mal à passer, les motos cross y arrivent sans problèmes. À vrai dire je me foutais pas mal de sa réponse, je fonce. J’aperçois le chemin montant de l’autre côté de la rivière. Les premiers pèlerins du Tour du Mont-Blanc s’adonnent à battre en rythme le chemin avec leur bâton. Tic-tac, tic-tac, tic-tac, je viens les interrompre avec le hurlement de mes sacoches se faisant secouer dans tous les sens. Le terrain est humide et gras. Je glisse et me casse la gueule à chaque passage de caniveaux métalliques. Je peste contre ces aménagements pourtant essentiels à la bonne santé du chemin.

Mes coudes sont marrons de boue, je baptise mon vélo. Il est mal tombé, son propriétaire est aussi timbré qu’une enveloppe en partance pour le bout du monde. Je lis cette définition de moi-même dans les yeux des randonneurs que je croise. En même temps je suis torse nu, il fait un froid de canard mais je sue à en remplir ma gourde.

Je pousse mon vélo dans les portions trop raides ou trop grasses. Me voilà arrivé au col de la Seigne. Le Mont-Blanc est bien là, le début des emmerdes aussi. Laurie m’avait glissé un gâteau Ovomaltine dans ma sacoche de guidon. C’est fou mais j’ai eu envie de l’aimer un peu plus après l’avoir englouti. Je regarde la descente, ça va secouer les chaussettes.

J’entame les premiers virages en gueulant de joie. Le degré de pente me fera fermer mon clapet d’un coup sec. Je serre les freins et pose pied à terre.

Je comprends tout juste que je ne roule pas avec mon enduro mais bien avec un vélo de route amélioré. Je ferai donc une partie de la descente à côté du vélo comblant ma frustration avec la beauté de ces géants faits de roches et de glaces. Enfin je me remets en selle, je fonce même. Arrivé sur un petit plateau, je m’arrête sous le refuge Elisabetta pour remplir ma gourde. Je vais devenir fou. Je l’ai perdu. Je me refais la descente mentalement. Impossible d’estimer à quelle hauteur j’ai pu l’égarer. Je me raisonne en me persuadant qu’elle doit être dans la deuxième moitié, là, où j’ai roulé comme un crétin en déficit d’intelligence. Je ris jaune. Les cales de mes chaussures automatiques sont défoncées. J’aurai dû prendre une autre paire de pompes. J’entame la montée en demandant aux quelques randonneurs s’ils ont vu un bidon. 500 mètres de dénivelé plus tard, je croise trois jeunes anglais. Victoire ! Je redescends aussitôt après les avoir remerciés chaleureusement. Je prends le temps de réparer mes cales et me remets en route.

Une pizza et un tiramisu à Courmayeur me feront oublier les galères le temps d’un repas. Il me reste 90 kilomètres et 2 000 mètres de D+. Forcer comme un âne sur mes cannes durant les 40 km de descente pour rejoindre Aoste fût une erreur. Soudain, une douleur vive dans le genou droit me rappelle un syndrome de l’essuie-glace mal réparé quelques mois plus tôt.

En un éclair, mon imagination fabrique le cauchemar d’une rentrée en train. Je suis seul dans la gare d’Aoste, mon vélo est encore plus déçu que moi. Il me regarde penaud, il voulait rejoindre l’au-delà et se retrouve, la chaine détendue, attaché dans un wagon, un masque sur la potence. Je vais abandonner…

Il me reste moins de 40 km et 1 900 m de D+, c’est impossible avec cette douleur me dis-je. Je m’arrête à une station-service. Laurie m’appelle et me dit qu’elle vient de se poser au-dessus de l’hospice. La course est finie. Je traine la patte, «on t’aurait abattu sur un champ de course» m’aurait dit François Pignon le plus grand cycliste de tous les temps. Je trouve encore un peu de bonne humeur pour me faire rire. Les mots de Laurie me confortent, elle m’attend là-haut. J’achète une boisson énergétique qui, d’habitude, me répugne. Je regarde mon vélo et, tout d’un coup, l’espoir nait. Je balaye la chaine détendue et le masque sur la potence. Je fixe ma prochaine pause autorisée cinq kilomètres plus loin. Je recommence la manœuvre cinq kilomètres plus tard en pestant contre le plat. Je me demande quand est-ce que je vais monter.

Un panneau affiche le Col du Grand Saint Bernard. Je gueule comme un marin en haut de la vigie : « Je vais te bouffer, c’est facile !!! » Je complimente mon genou à chaque tour de pédalier : « tu es beau, tu es fort, t’es le meilleur !» Si je ne le fais pas, je suis persuadé qu’il va me lâcher.

Aoste et mes cauchemars disparaissent derrière moi, la pente s’incline doucement. Je vais le faire. Je n’ose plus regarder ma montre, je regarde la ligne blanche sur le côté de la route. Laurie m’appelle pour prendre de mes nouvelles et pour me dire qu’ils ne m’attendront pas pour manger, je dois me dépêcher !

Quelques lacets plus tard, j’aperçois le tunnel sous lequel nous passons l’hiver en ski de randonnée. Au-dessus, je distingue une silhouette. Je pense d’abord à la statue de Saint-Bernard qui veille au col. Puis j’imagine que c’est peut-être Laurie qui m’attend. Je regarde d’un coup d’œil ma montre, je viens de gagner 3km/h. Je roule à 12km/h, dopé par l’idée de la rejoindre et de partager avec elle le Genius Loci de l’hospice. « Heureux celui qui a persévéré » me répétais-je. Je passe le tunnel, je crie à nouveau pour me faire assommer par mon écho : « J’arrive !!! ».

Les larmes me montent aux yeux, le froid sans doute. Ou plutôt un mélange d’émerveillement et de fierté en découvrant, pour la première fois le col l’été. C’est de plus en plus rare je trouve d’être fier de soi! Je me dresse sur mes jambes, j’avale les derniers mètres en danseuse comme pour dire au monde qu’aujourd’hui je suis inarrêtable. Aujourd’hui messieurs dames j’ai souffert seul, mais aujourd’hui je me suis senti vivant, j’ai respiré ma liberté, et expiré mes angoisses et mes doutes.

Je baisse la tête à l’entrée de l’hospice sous l’écriteau sur lequel est inscrit « Heureux ceux qui ont persévéré ». Laurie m’attend à table, j’ai du mal à manger. Elle me raconte son vol, 4 500 mètres de plafond sous le Mont Blanc, l’un des plus beaux vols de sa vie. La fatigue nous colle les lèvres. Nous continuerons nos récits par le regard. Nous nous couchons le corps endolori, et profitons des dernières forces du jour pour serrer nos mains avant de se perdre dans nos rêves.

Laurie

Les thermiques sont petits et le terrain est technique, mais les nuelles bien plus hautes me laissent espérer une belle sortie. La où je suis, c’est une belle combe rocheuse, au dessus de quoi il y a beaucoup de neige, puis deux belles arêtes ornées de microscopiques cumulus : les Aiguilles des Glaciers. Je m’y reprends à deux fois pour les accrocher, dégoulinant donc à 2 reprises sur la neige. (…) Je trouve un thermique sous le Mont-Blanc de Courmayeur, patiente et monte en même temps que les nuages pour atteindre 4 500m. Je vois des ailes décoller du sommet.

J’hésite à attendre dans l’espoir que les plafonds prennent 300m, mais c’est trop incertain et je suis déjà frigorifiée et un peu sonnée par l’altitude.

Survol du Glacier du Géant et de Miage, la pointe Helbronner, sur ma gauche se trouve la Dent du Géant et au loin les Grandes Jorasses. L’instant est magique, je mange une barre de noix, je savoure le goûter que j’ai du mal à mâcher, la mâchoire un peu gelée. Je transite sur le Grand Golliat, Robin m’appelle : la pizza à Courmayeur était bonne mais son genou lui tire et il n’est pas sûr d’être à 19h à l’Hospice du Grand Saint Bernard. Je ne m’avance pas sur ma présence, je ne vois pas encore le Grand Saint Bernard et je ne connais pas les lieux.

Quelques minutes plus tard, au milieu de 20 vautours, dans un bon thermique qui me propulse à 4 000m, je le rappelle. Il est 16h30, je devrais être à l’heure à l’hospice…

Le Grand Combin puis ma montagne rêvée : Le Cervin, se profile devant moi. Je l’admire au loin. Je pose au dessus du col du Grand Saint Bernard, au bord d’un petit étang. Je me baigne les pieds en espérant que ça ne cause pas la mort des têtards. Accueillie par les bénévoles et les religieux de l’Hospice, j’attends Robin, qui lutte dans la montée du Col, en racontant notre épopée à la tablée. Accueil et partage sont les maîtres mots du lieu, tout aussi grandiose que les faces survolées quelques heures plus tôt.

Jour 3 : Chamonix

Robin

La musique de l’Hospice en guise de réveil annonce mon sacre. Le thé et les tartines, l’unique raison de se lever ce matin. Je fais vite mes sacoches, j’enfile mon collant après avoir profité d’une douche chaude. 40 km de descente m’attendent ce matin. Je quitte Laurie au col. La journée s’annonce difficile pour elle. Pour moi, j’ai l’impression que le pire est derrière moi. Mon genou me rappelle de ne pas forcer sur la pédale, tant mieux je descends. Je décide de passer par le lac de Champex.

Laurie passe au-dessus de moi alors que je suis à la moitié de la montée. Elle est si haute que je ne la vois pas. Je passe toute ma montée à regarder le ciel, déçu de l’avoir ratée. Tant pis, je file, je me sens bien.

Je déguste des petits gâteaux offerts la veille par Laurie, avant de redescendre en direction de Martiny. Je shunte la ville en passant par une petite route aussi raide qu’une crampe de mollet qui vous réveille la nuit. Je chante, j’aboie, j’entends le vacarme de la route du Col de la Forclaz.

Motos, voitures de luxe, et camions m’auront rendu fou. Moi qui cherchais le petit sentier tranquille, me voilà sur l’autoroute du m’as-tu-vu et du m’entends-tu:
« Allez-vous faire f***** ! ». Je roule à 13 km/h pressé de quitter cet enfer, ce capharnaüm bitumé. Le vent au col de la Forclaz fait chuter ma vitesse, Laurie m’appelle et me dit qu’elle a posé à Trient, le village d’après. Elle s’est fait peur, je l’entends à sa voix.

Mon envie de la rejoindre pour la rassurer et son annonce d’un burger à dévorer me dressent comme un pissenlit au premier rayon de soleil. Je danse, je swing sur mon vélo, j’enfile mon coupe-vent, et entame la descente.

Laurie m’attend au refuge du Peuty avec des cocktails sans alcool. Je la prends dans mes bras. Elle me raconte sa mésaventure. Les conditions aérologiques l’ont poussée à atterrir, ou plutôt à chuter à l’orée d’un bois à une vitesse entre 3 et 8 m/s.

Autant dire qu’elle s’est délicatement écrasée. Le dos tassé, elle récupère une partie de son aile dans un sapin.

Je réalise à peine son engagement, seule, au milieu des plus hauts sommets des alpes. Je suis partagé sur mes émotions, à la fois rassuré et effrayé : vivre à 200% et faire de son quotidien une valse avec, comme partenaires, l’émoi et l’effroi. Cette intensité, je suis heureux de la vivre à deux. À nous de voir si c’est une chance ou bien une calamité.

Bien souvent, les mots ne suffiront pas pour décrire ce que chacun aura vécu. Il s’agira de regarder amoureusement l’autre, et de purger ses émotions par les rires ou les larmes. C’est notre recette. Un burger et une salade engloutis, nous repartons aussitôt, direction Chamonix. Laurie passe par le col de Balme, et espère faire un glide jusqu’à Cham’. La route est tranquille pour moi, j’arrive tôt. J’en profite pour faire une bise aux copains de l’Épicerie des Praz et de Praz Sport. Les parents de Laurie me rejoignent avec le ravito dans leur super van ! Laurie galère à décoller avec la brise. Encore une gamelle, elle redescendra de nuit à pied. J’allège mon vélo, visse la frontale sur mon casque et file dans sa direction.

J’aperçois une lueur sautillant dans la nuit noire. C’est elle. Les yeux dans le vide, le mode robot activé, elle ne sait même pas qu’elle court avec son sac de 90L Néo plein à craquer. Il lui restait à faire 6 km de gainage sur ma selle et moi en danseuse avant de rejoindre le camping et le délicieux repas qui nous attendait. Nous nous couchons douchés et rassasiés.

Laurie :

Sur le Chatelet, je monte doucement dans des thermiques très accrochés aux reliefs, les cycles sont courts et rien n’est évident. Je m’accroche car je suis persuadée qu’il faut monter tant que je suis protégée du vent. J’arrive à extirper un 3 000m, je contourne la pointe d’Orny avec une magnifique vue sur le glacier du plateau de Trient, l’enfer est alors devant mon nez. Je dégouline doucement, crabant avec une finesse digne d’un parachute. Le verdict va sonner une fois à proximité du col. Moi qui pensais pouvoir passer au dessus, je me retrouve derrière le Col de Balme, qui se situe au bout de la vallée de chamonix, soit sous le vent de la brise et d’un bon vent météo de sud ouest.

C’est là que le bal commence. Je rentre dans une masse d’air involable… Urgence, je me mets dos au vent, et je fuis. Je ne peux pas fuir bien loin car je plane comme un cailloux.

Au milieu de la petite vallée, un thermique de confluence me remet au chaud. Pas froid aux yeux, je refais le plein et retente ma chance. Erreur, 2ème danse. Je tombe du ciel, placée sur un champ en marche arrière, XC tracks annonce la fin de mon vol… J’espère que la brise va prendre le dessus à un moment, ce qui arrive à 15m du sol, avec un taux de chute toujours à -3 m/s.

Je réussi à m’écraser sans trop de bobo, posé équivalent à une séance chez un ostéo un peu brutal. La vitesse horizontale m’a un peu sauvée, j’ai tangenté… Je sors l’oreille de ma voile qui est venue embrasser un sapin. Je mets tout en boule et m’allonge pour respirer… Longuement. Parfois, on est bien mieux au sol.

Je replie, alors qu’alternent 40 km/h de vent descendant et 20 km/h de brise. J’appelle Robin, il est bientôt au Col de La Forclaz. Juste à coté de moi se trouve le refuge du Peuty: «Un mojito sans alcool s’il vous plait». Que la vie est douce les pieds sur terre. Je commande une belle salade et un burger pendant que Robin arrive.

Jour 4 : Retour inespéré à thônes

Robin

Laurie se lève tôt. Elle doit marcher jusqu’au Brévent. Le temps se gâte, une légère ondée sur la route nous fait envisager un Chamonix-Thônes à pied. Je file sur des sentiers presque roulant avant de rejoindre Passy. J’envoie des photos du ciel à Laurie pour l’informer de l’aérologie. Je profite de mon avance pour aller casser la croûte à Sallanches avec Charles un copain de l’école d’archi.

À peine mon brunch englouti, que mon téléphone vibre. C’est Laurie: « je transite au-dessus de Sallanches». Je paye, enlève les miettes autour de ma bouche et je pédale comme un fou en direction de Megève. Laurie m’appelle, elle vient de se poser au-dessus du village. Je suis à quelques centaines de mètres. Autant dire que je traverse le village à 40 km/h sautant au-dessus des dos d’ânes. Je la rejoins le long d’une petite route montant au Christomet. Je la ravitaille en eau. Elle l’a fait ! La maison est toute proche ! Nous nous séparons à nouveau en nous souhaitant bonne chance. J’entame une petite piste se transformant en une sente à vaches. J’en rencontre échouées sur le chemin et ne bougeant pas d’un pouce. Je dois porter le vélo dans la pente pour les éviter, esquivant les bouses fraîches. Je découvre le paysage et le Mont Charvin. Le terrain est si pentu et si gras que je me casse la gueule un paquet de fois, les pieds toujours accrochés à ma monture.

Je rejoins enfin la route, la Giettaz, et la dernière difficulté de notre périple. Laurie arrive à la Tête du Torraz d’où elle va essayer de décoller. Le temps n’est «pas pire», ma montée est agréable, presque trop facile. Laurie décolle, j’arrive au col des Aravis.

Je la perd de vue, je pianote sur mon téléphone quelques indications sur la force et la direction du vent, ça s’annonce chaud. J’emprunte une piste pour avoir la vision sur les faces Est des Aravis. Soudain, elle sort de nulle part, son aile plie une première fois, puis une deuxième. J’ai l’impression de tordre mon guidon tellement je suis inquiet. Alarmé par tous les indices de conditions dégueulasses.

Laurie est proche du sol, son aile se tord dans tous les sens en se retrouvant au vent du col. J’avance sous elle, elle rejoint atterrissage avec grâce.

Je me jette à terre pour passer la ligne électrique du champ, je cours vers elle. « Je me suis faite défoncer » me dit-elle. J’avais bien vu. Ses parents nous rejoignent et nous partageons un «petit» goûter dans l’un des nombreux restaurants du col. Rassasiés, nous reprenons la route, c’est la fin d’après-midi. Il ne me reste que de la descente avant de rejoindre Thônes et la maison.

Pour Laurie beaucoup de marche encore, un vol depuis l’Étale l’avancera un peu. Je scrute son arrivée sur son traqueur: un petit appareil qui me permet de voir sa position en temps réel. Elle est juste au-dessus de la maison, sur les sentiers de nos footings. Je l’attends, il est 21h30 nous avons fini.

Laurie

Les nuages s’étalent et tout est à l’ombre, j’avance sur Varan puis transite sur la face Est des Aravis au niveau de Cordon, il fait nuit mais l’instabilité permet de petit thermiques, les oiseaux m’aident. Je pose à la sortie de Megève en direction du Col des Aravis, heureuse d’avoir fait ce chemin en vol alors que ce n’était pas gagné, mais frustrée car il y avait moyen de continuer. Le temps que je plie, une tache de soleil apparait et mes compagnons de vol virevoltent dans les ascendances…Un sandwich au beurre de cacahuète apaise ma frustration.

Je retrouve Robin quelques instants, puis monte à la tête du Christomet et du Torraz. Qui arrivera la premier au col ? Je marche en écoutant un podcast d’Ultra Talk avec Kilian Jornet. En outre ses performances, cet homme est juste tellement inspirant, ses mots occupent mes pensées un long moment et rendent la marche encore plus agréable. Au dessus de la Giettaz, les conditions sont idéales mais, passer le col des Aravis, est une autre paire de manche. Robin m’envoie une vidéo de la manche à air que je ne veux même pas regarder… Les plafonds sont bas et le Nord-Ouest bien présent. Je décolle, profite du thermique au vent et transite. J’essaye de me cacher au maximum sur la face Est, sous la Porte des Aravis pour monter avant de me “présenter” au col. Les thermiques sont à vomir, je prends quelques marges par rapport au relief. Je finis par m’avancer encore terrorisée de la veille.

Je chasse les pensées négatives de poser en marche arrière et me concentre sur mon objectif.

Accélérée, je finis par passer dans le flux et me retrouve dans un air fort mais laminaire, ce qui me permet de toucher le sol sereinement.

Il est 16H30, l’heure de la crêpe ? Une fois retapée à grande dose de pâte à tartiner, il faut utiliser le carburant : Robin n’a plus qu’à se laisser rouler jusqu’à Thônes mais, pour ma part, je marche jusqu’à Merdassier puis remonte sur l’Etale pour un dernier glide me rapprochant de Thônes. Je finis à pied dans la forêt du bois du Mont, frontale sur la tête, sur des sentiers que je connais par cœur, presque déçue que ce soit déjà terminé.

Le Mot de la fin

Laurie & Robin

Nous nous regardons en riant, cette aventure que nous avons partagée nous l’avons vécue chacun à notre manière mais bel et bien ensemble. Parcourir ce terrain de jeu formidable que sont nos montagnes, c’est aussi une chouette manière de s’entraîner. Un nouveau monde s’ouvre à nous. Celui de nos rêves ? Non, celui dans lequel nous vivons. Un monde où la liberté peut nous être arrachée d’un simple mouvement de lèvre. Un monde où entrer en résistance est honteux, et l’obéissance la norme. Nous nous sommes bien trouvés.

Là, où l’horizon est plat le monde nous est insupportable. Là, où la pente déchire le paysage nous lutterons ensemble contre l’absurde gravité.