Philippe Gallay est, depuis plus de 35 ans, le président-directeur général de TSL Outdoor, la célèbre marque de raquettes à neige née au cœur de la vallée de Thônes. Nous avons eu la chance de le rencontrer lors d’un entretien de plus d’une heure où il nous a expliqué son parcours professionnel, la genèse de la marque, son évolution, ses remises en question et sa position en tant que leader mondial… Il nous a également emmenées dans les coulisses, découvrir les différentes étapes de fabrication et d’assemblage des différents modèles de raquettes.

Philippe Gallay PDG de l'entreprise TSL Outdoor
©OT Thônes CDV – Philippe Gallay

Philippe Gallay n’est pas un PDG comme les autres : il connaît ses employés et est très accessible. Il nous a tout de suite mis à l’aise à renfort de petites blagues et ceux qui le connaissent, retrouveront dans cette interview son humour et son phrasé si naturel, loin des discours tout fait. Nous avons essayé de retranscrire au mieux ses paroles et ses petites anecdotes avec ses mots à lui, en toute humilité.

Pouvez-vous nous raconter l’histoire de la raquette TSL ? Comment est née l’entreprise TSL ?

La raquette utilitaire était déjà utilisée auparavant par les paysans pour se rendre dans leurs champs et alpages enneigés. La raquette loisirs est réellement née à Thônes en 1981 avec la création de Thônes Sport Loisirs (TSL) par Jean-Claude Bibollet. Il s’est inspiré des trappeurs canadiens et s’est lancé dans la fabrication de raquettes à neige, au retour d’un voyage au Canada.

Jean-Claude Bibollet, accompagné de Louis Ours, a donc créé la première raquette en plastique TSL en 1981. Cette même année a été lancé un événement autour de la raquette : le Master des Neiges, regroupant une randonnée raquette ouverte à tous et une course, qui deviendra épreuve de la coupe d’Europe de raquettes. TSL était un des sponsors de cet événement et prêtait le matériel aux participants de la randonnée, ce qui lui procurait une belle communication. La dernière édition du Master des Neiges a eu lieu il y a 7 ans, en 2014. Dans ses meilleures années, l’événement a accueilli plus de 1000 participants !

Rapidement après sa création, la mauvaise qualité du plastique utilisé pour la fabrication des premières raquettes TSL a engendré des coups de service après-vente (SAV) trop importants, au point où la dernière année, il y avait autant de raquettes vendues que de retours.

J’ai racheté TSL en 1986, avec un de mes amis Raymond Thovex (père de Candide Thovex, skieur professionnel multi-médaillé). A l’époque, on a investi 8 000 francs chacun, un peu plus de 1 200 euros. On a développé la raquette à neige à La Clusaz car on est tous les deux de là-haut. Telle une histoire à l’américaine, on a commencé à fabriquer des raquettes dans notre garage, le soir après nos journées de travail. Pour nous aider à produire, mon père et la femme de Raymond venaient nous aider à assembler les raquettes… A cette époque, nous produisions environ 1 000 paires par an. On était tous les 2 moniteurs de ski la journée et guide pour des groupes en randonnées raquettes. Nous faisions 4/5 sorties raquettes par semaine et on s’arrêtait en chemin dans un restaurant d’altitude pour manger une fondue et boire un vin chaud.

C’était assez cool comme travail, j’étais payé pour manger des fondues avec les gens ! Même si on avait des journées à rallonge, on adorait faire ça !

Dans les années 1990, l’engouement pour la raquette est tel que j’ai racheté un local dans la zone industrielle d’Alex. J’utilisais seulement une partie pour la production TSL et je voulais louer l’autre. Au bout d’un an il n’y avait déjà plus assez de place. Au final, l’usine TSL est passée de 50 m² à 500 m². Alex a donc accueilli la première usine et est, aujourd’hui encore, le siège social du groupe.

Quel a été votre parcours professionnel ?

Alors moi, j’ai commencé par faire l’école hôtelière de Thonon. Ensuite, j’ai été embauché au Sofitel à Roissy et là, j’ai vite gravi les échelons puisqu’à 23 ans, j’avais déjà 80 mecs sous mes ordres. Et puis j’en ai eu marre, je suis revenu dans la région où j’ai repris le restaurant de la piscine à la Clusaz. C’était beaucoup de boulot pour peu de revenus. J’étais toujours moniteur de ski et guide l’hiver. J’ai décidé d’arrêter d’être moniteur il y a seulement 10-15 ans. J’ai toujours fait ce que j’ai eu envie de faire. J’ai également été président du Club Alpin Français (CAF) pendant plusieurs années.

Et puis évidemment depuis 1986 j’ai repris l’entreprise TSL, qui m’occupe à plein temps. Jusqu’en 2014, TSL était toujours sponsor du Master des Neiges. Alors oui je suis le PDG mais je ne bosse pas… Je règle les problèmes, les petits soucis, je coordonne un peu les opérations… et c’est déjà pas mal !

Je ne bosse pas je m’amuse ! Aujourd’hui TSL ce sont 160 actionnaires, et d’ailleurs beaucoup sont des potes !

Là je me prépare aussi à passer le flambeau… Je vais bientôt partir à la retraite. J’ai réfléchi à un successeur pour reprendre ma place de PDG et ce sera sûrement Yoann Bibollet, actuellement chargé du bureau d’études chez TSL. Pour la petite histoire, Yoann est le fils de Jean-Claude Bibollet, le fondateur d’origine de TSL.

Philippe Gallay (PDG de TSL Outdoor) et Yoann Bibollet (inventeur du Yooner) dans les locaux de TSL à Annecy-le-Vieux
©TSL Outdoor – Philippe Gallay (PDG de TSL Outdoor) et Yoann Bibollet (inventeur du Yooner)

Alors racontez-nous un peu quels sont vos différents modèles de raquettes ? Les différents produits TSL que vous fabriquez et vendez ?

On a 3 modèles de raquettes : la composite, la highlander et la hyperflex (Symbioz). Dans chacun des modèles on a différentes gammes de produits, pour enfants ou adultes (femmes / hommes), 225, 217, 305, 418… Aujourd’hui, le marché des raquettes représente plus de 80% des ventes de la marque.

La success story la TSL 225
©TSL Outdoor – La raquette TSL 225 success story depuis 1995, la plus vendue à ce jour !

A côté de ça, on a élargi notre gamme avec des nouveaux produits pour se diversifier. On a alors profité de l’engouement pour la marche nordique pour proposer des bâtons (+ de 500 références de bâtons), des chaussures, des sacs à dos, etc…

Liant la marche nordique et la raquette à neige, nous avons lancé les produits Step-In, chaussures directement clipsables sur la raquette. C’est un deux-en-un plutôt réservé aux spécialistes. On en vend environ 500 paires par an. C’est un marché plus particulier car contrairement aux raquettes classiques, elles ne sont pas adaptables à des pointures différentes.

Modèle Step-In avec chaussure clipsable directement sur la raquette
©TSL Outdoor – Chaussures et raquettes Step-In

On a également ajouté le Yooner dans notre catalogue. Le Yooner, c’est un paret moderne fait en plastique et non en bois.

Le saviez-vous ?
Le paret est une sorte de luge locale en bois avec une assise et un patin en-dessous. Il faut rester en équilibre pour pouvoir glisser sur la neige.

Pour la petite histoire, le Yooner a été inventé par Yoann Bibollet (et oui, mon futur remplaçant mais aussi le fils de Jean-Claude Bibollet, fondateur de TSL) !
Yoann a donc créé l’entreprise Yunaska et a commencé à produire des Yooners. TSL l’a racheté il y a 1 an maintenant.

Et tous vos produits sont fabriqués en France ?

Oui tout est produit en France mais les matières premières viennent d’ailleurs. Il y a des pièces qui viennent de l’étranger évidemment, car nous ne savons pas tout faire… les boucles viennent d’Italie et la matière des griffes à l’avant de la fixation provient de l’étranger également. Ma femme est d’origine vietnamienne et elle est propriétaire d’une usine au Vietnam, ceci expliquant sans doutes pourquoi nos housses de raquettes sont fabriquées là-bas.

Fallait bien que je la fasse bosser (nous confie-t-il avec son humour très 4e degré !!!)

Pourquoi produire en France ?

C’est un choix de base ! Mon but c’est de faire travailler les gars du coin et je n’ai pas envie de produire ailleurs. J’aime la région et la vallée. Je suis un gars d’ici moi, j’ai grandi à la Clusaz. J’emploie 135 personnes à l’année et en ce moment, il y a 200 employés au total dans les usines.

C’est sûr que si j’avais délocalisé mon usine de production dans les pays asiatiques (Chine, Thaïlande…), j’aurais fait une marge de 20%. J’aurais gagné plus d’argent. Mais je n’en ai pas besoin ! Aujourd’hui les prix des produits TSL affichés à la vente sont abordables. Je ne fais que 2% de marge sur les ventes. Ce qui nous protège de la production asiatique, ce sont les brevets.

Le gros avantage de produire en France c’est aussi que nous avons pu réagir assez vite à la forte demande de raquettes à neige cet hiver. En plus, on a un super SAV ! On a toujours fait des produits durables, et réparables, c’est-à-dire que même des raquettes vieilles de 15 ans on peut les réparer !

Je dis toujours à mes employés que ce n’est pas moi leur patron mais le client. La base du métier c’est d’être à leur écoute. Les personnes qui ont un problème avec un produit, viennent directement à l’accueil de l’usine TSL à Annecy-le-Vieux et ils repartent avec du matériel réparé ou changé.

Quels ont été les principaux enjeux apportés par cette crise sanitaire pour l’entreprise TSL Outdoor ?

Le principal problème que nous avons rencontré c’est d’assurer nos commandes… Nous avons pris du retard dans la production et la livraison du matériel. Je n’aime vraiment pas ça, mais nous n’avons pas pu faire mieux.

En général, on commence à produire des sous-ensembles de pièces pour les raquettes au mois de mars. Après on a plus qu’à monter la raquette en hiver. Une fois qu’on a toutes les pièces c’est seulement 20 minutes pour monter une paire de raquettes.

Les magasins revendeurs de produits TSL passent habituellement leurs commandes avant août. En temps normal, on fait une estimation en septembre et on prépare une commande de base, pour avoir du stock en avance, le temps de produire les commandes qui arrivent en cours de saison. Cette année, avec le premier confinement, les magasins ont repris tranquillement leur activité et ne se sont pas projeté trop à l’avance. Ce qui s’est passé c’est qu’en octobre 2020, on avait -40% de commandes et il y avait encore du stock en trop. Alors que normalement, la commande de base est de 120 000 paires, cette année on en avait seulement 80 000. Et puis fin novembre, il y a eu un engouement énorme pour la raquette et les commandes ont afflué de toute part.

Pour honorer les commandes, on a produit jusqu’à 3 000 paires par jour ! Autour du 10 janvier 2021, la production a commencé à s’essouffler car on manquait de matériaux. Comme je vous l’expliquais juste avant, on importe des matériaux. Les griffes à l’avant de la raquette c’est 6 mois de délai. Ce qui nous a beaucoup manqué ce sont les boucles pour les sangles des raquettes. Ces boucles sont fabriquées en Italie. L’Italie entre temps a été reconfinée, donc les usines ne fonctionnaient plus, et puis après il y a eu les fêtes de fin d’année. Les italiens étaient en capacité de produire 500 boucles par semaine alors que nous en avions besoin de 30 000 (15 000 paires de raquettes par semaine). Si les boucles avaient été là, on aurait gagné 20 – 30 000 paires.

Et justement pour éviter au maximum les soucis de délais de livraison des matériaux (et aussi réduire le SAV que TSL a connu à ses débuts), j’ai racheté en 1992 BM Injection, aujourd’hui Injection 74. C’est là-bas que toutes les pièces en plastique sont produites dans des moules. On a aussi d’autres gros clients comme des marques automobiles, médicales, alimentaires…

Vous n’avez jamais souhaité faire de la vente en direct ? Soit par Internet, soit en boutiques physiques ?

On ne l’a pas encore fait, mais on travaille dessus. Cela devait se faire cette année et au final nous ne l’avons pas fait, on a eu d’autres priorités à gérer.

Mais la vente en directe reste un sujet sensible que l’on aborde sur la pointe des pieds. On ne veut pas se mettre en porte-à-faux avec nos clients, les magasins de sport.

Quels sont vos principaux concurrents ?

Cela dépend de quel marché on parle… Depuis 2004 nous sommes implantés sur le marché Nord-américain. Là-bas, notre principal concurrent c’est Tubbs, surtout que la marque était déjà implantée aux États-Unis et au Canada avant nous.

Aujourd’hui TSL est leader mondial. En gros, les 3 grandes marques de raquettes présentes sur le marché français sont, en 1er TSL, puis Quechua en 2nd et en 3ème position, on a la marque Inook.

Pour la petite histoire, c’est assez marrant, mais Inook c’est une marque qui a été créée par Jean-Claude Bibollet… Le même Jean-Claude Bibollet qui avait créé Thônes Sport Loisirs (TSL) à l’époque. Quand il a vu l’engouement pour les randonnées raquettes dans les années 1990, il s’est rendu compte qu’il avait raté le créneau et il a voulu rattraper le coup en créant cette nouvelle marque, de fait, concurrente de TSL. Mais nous sommes en bons termes aujourd’hui, je l’ai encore eu au téléphone la semaine dernière !

Et pour la nouvelle paire de raquette Evvo ?

Bah Evvo ce ne sont pas des concurrents directs puisqu’ils ne fabriquent pas des raquettes à neige… Ils ont créé un produit innovant qui peut plaire, mais ce ne sont pas réellement des raquettes à neige !

Comment et pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir des filiales en Amérique du Nord (États-Unis et Canada) ?

On a décidé de rentrer sur le marché nord-américain en 2004, en adaptant le nom de la marque TSL Snowshoes, mais nous nous sommes vite rendu compte que la raquette composite que l’on vendait en France ne marcherait pas aux États-Unis. Enfin ça pouvait marcher, mais on ne pouvait pas vendre des raquettes en plastique au même prix que nos concurrents. Tubbs, notre concurrent, vendait des raquettes fabriquées avec des tubes en aluminium. C’était le standard aux États-Unis. Dans l’esprit des américains, notre raquette en plastique était vue comme bas de gamme. Pour gagner des parts de marché là-bas, on n’a pas eu le choix de produire nous aussi, des raquettes en aluminium. Seulement le prix n’est pas le même ! L’aluminium c’est beaucoup plus cher que le plastique. On a quand même produit et vendu à perte nos paires de raquettes pour pouvoir pénétrer le marché.

Raquettes TSL en aluminium destinées au marché Nord-Américain
©TSL Outdoor – Raquettes TSL en aluminium destinées au marché Nord-Américain

Et puis j’ai réfléchi à une stratégie de différenciation et la seule chose que l’aluminium n’a pas, c’est que ce n’est pas flexible du tout. C’est alors que nous avons travaillé sur le nouveau modèle, la Symbioz Hyperflex ! Cette raquette est hyper flexible, comme son nom l’indique, et elle permet de s’adapter à n’importe quel terrain. Elle est faite pour les grands sportifs et grands pratiquants. Au final, ce modèle s’adapte très bien à la pratique de la raquette aux États-Unis, qui est vu comme un réel sport contrairement aux randonnées loisirs en France.

Cette année, TSL a multiplié par 4 la vente de ce produit innovant, la TSL Symbioz. La crise sanitaire a aussi été bénéfique pour nous, car on a vraiment pu pénétrer le marché américain cette année (2020 – 2021). C’est tout simple, notre concurrent fait produire ses raquettes en Chine, mais avec l’engouement qu’il y a eu cette année pour cette pratique, les commandes ont explosé et la Chine n’a pas été capable de produire et livrer à temps, contrairement à nous !

Comment voyez-vous le futur de la raquette à neige ?

L’année dernière on a vendu 150 000 paires de raquettes et cette année 200 000. Je pense que le futur est assez positif pour le moment, notamment en Amérique du Nord puisque nous avons bien pénétré le marché en 2020.

Par contre, le réchauffement climatique est un enjeu primordial pour les années futures, qu’il faut prendre en compte. On a déjà connu des années dans le passé où on n’avait pas de neige ici et ça se ressent directement sur les ventes et donc sur la production. C’est pour cela que je viens juste de racheter une nouvelle boîte d’injection plastique. L’injection c’est un métier qui assure des revenus et des emplois constants tout au long de l’année, contrairement au marché de la raquette qui est très dépendant de la saisonnalité.

Aujourd’hui il y a 2 pôles : l’injection plastique et TSL. Chacun des pôles pèse 10 millions d’euros.

1981Création de l’entreprise Thônes Sport Loisirs (TSL) par Jean-Claude Bibollet
Lancement du Master des Neiges
1986Rachat de TSL par Philippe Gallay et Raymond Thovex
Production de 1000 paires de raquettes par an
1990Les investisseurs ont pu se faire leur 1er salaire
19921ère employée de TSL
Rachat de BM Injection qui est aujourd’hui Injection 74
1995Success story avec le lancement de la raquette TSL 225 la plus vendue à ce jour
2004Implantation de la marque TSL en Amérique du Nord (États-Unis et Canada)
2021Le groupe TSL + injection plastique compte 200 employés (135 à l’année) et pèse 25 millions d’euros
Production de 3000 paires de raquettes par jour
Construction de 2 nouvelles usines d’injection plastique

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