5 août 2021
Rencontre avec un Savoyard passionné d’alpinisme et d’images, qui a su mêler ses deux passions, l’alpinisme et son métier de réalisateur de films documentaires, alliant performances sportives & artistiques.
Nous avons rencontré Sébastien Montaz-Rosset lors de la projection du film « Path to Everest » le 28 mai dernier à Thônes, lors de la soirée d’inauguration de notre nouvelle programmation de films de montagne « Montagne Expériences ».
« Path to Everest » est le 4ème et dernier film du projet fou de Kilian Jornet « Summits of My Life », visant à établir 7 nouveaux records de vitesse sur 5 sommets emblématiques, faisant partie des plus hauts du monde : le Mont Blanc (la traversée et le sommet), le Cervin, le Mont Elbrouz, le Denali, l’Aconcagua & le toit du monde, l’Everest. Path to Everest retrace donc la dernière partie de son projet : gravir 2 fois l’Everest en moins d’une semaine sans oxygène.
Sébastien sera à nouveau à l’honneur dans « Montagne Expériences » le 11 août pour une projection en plein air, sur le Plateau de Beauregard, d’un autre de ses films co-réalisé par Davina Beyloos Montaz-Rosset sa compagne, « Out of the Blue », mettant en scène arts du cirque et highline au milieu de montagnes vertigineuses. Davina et Sébastien seront tous les deux présents lors de cette soirée à la belle étoile pour un temps d’échange et de partage.
Parle nous un peu de ton parcours…
A la base, je suis guide. Je fais ce métier depuis que j’ai 23 ans et je l’ai fait à plein temps pendant 14 ans. Dans le métier de guide, j’ai toujours filmé et pris des photos avec mes clients, donc c’est quelque chose que j’ai toujours eu en moi, la créativité, le dessin, la photo, la vidéo…
J’ai commencé à poster très tôt, sur ce qu’on peut appeler des blogs, par exemple sur « Chamonix Guiding Snow Report » où je parlais des conditions d’enneigement, où aller skier le lendemain…
Les marques ont trouvé ce nouveau format très intéressant. Mais ça c’était en 2006 / 2008 et il n’y avait pas de vidéos sur internet, il y avait encore très peu de choses comme ça. Les marques m’ont demandé de shooter et c’est dans ce cadre-là que j’ai rencontré Kilian en 2010 pour Salomon, ce qui m’a fait arriver ici à Thônes puisqu’il habitait à Manigod depuis quelques mois.
Pourquoi avoir choisi le métier de guide de montagne ?
J’ai grandi en station de ski, aux Arcs en Tarentaise. Je grimpais, les études m’ennuyaient et je ne savais pas trop ce que j’allais faire à l’issue des études. Le métier de guide m’a semblé intéressant et assez évident.
C’est un très beau métier que j’ai beaucoup pratiqué. Maintenant je ne l’exerce plus parce que j’estime que c’est un métier qu’il faut faire à plein temps et moi je n’arrive pas à être réalisateur et guide… ça ne marche pas pour moi. Par contre, je suis avec des athlètes en montagne donc la montagne ne me manque pas par rapport à ça. Après, c’est vrai que les athlètes vont un peu plus vite que les clients, surtout Kilian… !
Aujourd’hui, je suis encore un peu guide l’hiver seulement avec des clients que je connais, mais je ne pourrais plus le faire à plein temps. J’ai adoré, mais c’est un cycle de vie qui est passé et je ne reviendrai pas à ça même si j’ai adoré. Après avoir suivi des Kilian Jornet, Mathéo Jacquemoud et autres, j’ai du mal à me mettre au pas des clients aussi. Par contre, j’adore le relationnel et c’est ce qui me manque le plus dans ce métier : la formation, l’échange…
Le père de Kilian est guide et Kilian a toujours détesté être sur la corde avec son père et pourtant son premier 4000, je crois qu’il l’a fait à 5 ou 6 ans, c’était Breithorn à Zermatt. Je lui avais demandé il y a longtemps s’il ne voulait pas faire guide, mais il m’a dit que ce n’était pas du tout pour lui.
Comment en es-tu venu à la réalisation ?
Ce sont les marques qui m’ont sollicité, d’abord pour les webséries, les « Kilian’s Quest ». Comme je le disais sur scène tout à l’heure au public, les premiers épisodes de Kilian avec Salomon se sont faits sur la face nord du Mont Charvin et sur la crête de Veyrier. Donc, c’est vraiment ici que j’ai commencé à filmer en pro.
Tu as appris sur le tas ?
J’ai appris comme beaucoup de métiers 2.0 aujourd’hui… sur internet. C’est un métier qui s’apprend en pratiquant. Aujourd’hui, il y a une explosion du métier, plein de jeunes veulent s’orienter vers cela. C’est un métier qui présente de nombreux avantages : le voyage, le partage, la rencontre, l’échange, mais qui a aussi ses défauts : la non réglementation, c’est-à-dire que tout le monde peut le faire mais il n’y a pas de cadre juridique… Ce qui est sûr, c’est qu’il y a moyen de se faire plaisir dans ce boulot. Mais par contre, plus il y a de monde qui fait de la réalisation et plus c’est difficile de sortir du lot.
Quel serait ton conseil pour ces vidéastes « amateurs » qui rêvent de devenir réalisateur ?
Le faire par passion, mais ça veut tout et rien dire en fait. Il faut aussi le faire pour l’argent, parce qu’il faut que ce soit viable mais tu ne peux pas le faire que pour l’argent parce qu’à un moment tu vas vite arrêter. Les contraintes de la vie font qu’il faut quand même gagner un peu sa vie et heureusement qu’on peut gagner sa vie avec un métier qu’on aime.
Mon conseil, ça serait de ne pas aller vers une esthétique de l’image absolument, de ne pas aller vers un rendu de cinéma ou de publicité. Aller vers de l’authentique, du vrai. La projection de ce soir « Path to Everest » va plaire aux gens parce qu’il y a des moments bruts, qui sont imparfaits, décadrés, qui tremblent, mais ce n’est pas grave. Ce sont des moments qui sont vraiment poussés dans l’engagement physique et psychologique et c’est ce qui fait les bonnes vidéos.
Votre meilleur appareil photo c’est votre corps, il faut l’entraîner et après, appuyer sur le bouton, c’est moins important.
Tu as rencontré Kilian via Salomon, comment es-tu devenu son réalisateur « attitré » ?
Je n’ai rien demandé. Kilian discute très peu, il n’échange pas beaucoup, il ne se livre pas facilement. Lui comme moi on n’est pas très bavards en montagne. Il ne m’a jamais dit quels plans ou quelles vidéos faire. C’est lui qui m’a voulu sur « Kilian’s Quest », et de même sur toutes ses expéditions du projet « Summits of My Life », ce qui nous a amené à l’Aconcagua dans les Andes, à Denali en Alaska… On a fait une demi-douzaine d’expéditions ensemble. Ça s’est fait de façon naturelle, Kilian t’accepte ou pas. Pour lui le plus important, c’est d’ailleurs pour ça qu’il est resté avec moi, c’est qu’il ne voulait pas de quelqu’un qui le ralentisse dans ce qu’il aime, c’est-à-dire courir et skier.
©Montaz-Rosset studio – Kilian sur son projet Summits of My Life
Et c’est souvent le problème dans les tournages aujourd’hui, il y a trop de répétitions, trop de recherche du plan parfait, au détriment du respect du rider ou grimpeur. Le film de l’Everest est très imparfait, c’est parce que l’aspect sportif était beaucoup plus important que la mise en image. Il voulait quelqu’un de rapide, discret, qui sache courir et skier et il a trouvé en moi la bonne personne. Ça matchait niveau sportif.
Tu dois t’entraîner pas mal pour réussir à le suivre ?
C’est lui qui s’entraîne pour me suivre !! Parce qu’en fait, je pars devant. J’ai essayé de partir avec lui d’en bas mais ça ne fonctionne pas très longtemps ! Moi je suis déjà essoufflé alors que lui sifflote à côté de moi… Donc maintenant, on se donne rendez-vous au sommet !
Par exemple, le sommet du Cervin, on l’a fait 6 fois avant qu’il fasse son record.
Tu as également réalisé un autre film dans l’Oberland Suisse, « Out of the Blue », qui sera projeter le 11 août au plateau de Beauregard, dans le cadre de Montagne Expériences. Qu’est-ce que tu as voulu montrer ou expliquer à travers ce film ?
C’est moins de la highline que des arts du cirque en vertical. Ce n’est pas vraiment un film de highline… j’en ai beaucoup fait avec les Flying Frenchies. Mais encore une fois, tout est né d’une rencontre… Tous mes films sont dictés par des personnes, je ne scripte jamais, je ne sais pas ce que je vais filmer.
©Montaz-Rosset studio
Pour « Out of the Blue », je ne connaissais qu’une seule personne. Personne ne savait que je venais filmer lorsque je suis arrivé. D’ailleurs, ça a créé des malentendus parce que les gens se demandaient ce que je faisais là avec ma caméra…
Au final, il n’y avait qu’une seule personne que je connaissais sur le film c’est Bernhard. Je l’avais filmé en 2011 sur une highline en Norvège en solo, je l’avais vu 15 minutes dans ma vie et je ne l’ai plus revu depuis. Un jour, il m’appelle et me dit « la semaine prochaine, on va faire ce projet », je lui ai répondu « j’arrive tout de suite ».
Ce que je veux, c’est filmer à l’instinct… sans phares ! « Out of the Blue » n’a pas été filmé avec une intention au départ. Sur un tournage, je cours du matin au soir pour filmer ce qui me semble intéressant. Des moments tout à fait anodins pour certains, mais qui pour moi sont magiques, comme une mère qui chante à l’oreille de son bébé.
Lorsque j’ai assez de matière, je travaille avec Davina, ma compagne, qui est productrice et réalisatrice de ce film avec moi. On essaye de voir s’il y a un potentiel pour que ça plaise au grand public et on se demande s’il y a une universalité dans ces images. Donc au final, l’intention vient après le tournage.
Qu’est ce qui t’a poussé, sur ce projet, à aller filmer alors qu’il n’y avait pas d’intention de film au départ ?
A la base, j’ai quand même l’intention de faire un film parce qu’il y a plein de choses qui m’attirent au niveau esthétique. Les arts du cirque en montagne, je trouve ça magique. Avoir des rubans aériens là-haut, on n’avait jamais vu ça… Je trouve que le mélange de l’urbain et de l’alpinisme est très intéressant. Il y a aussi beaucoup de féminité, de douceur et je trouve que ça fait du bien. Souvent, les films de montagne sont un peu testostéronés.
Dans « Out of the Blue », on suit des personnages attachants, avec leurs émotions et leurs ressentis.
Les deux personnages principaux sont Maja et Sebastian. Je ne les connaissais pas. Il y a des gens qui attirent l’image plus que d’autres, ça doit être ce qu’on appelle le métier d’acteur… En tous cas, je me suis très vite dirigé vers Sebastian… vous le découvrirez dans le film. Et 2 jours après, j’ai vu apparaître sa compagne Maja, très intéressante elle aussi.
Et lorsque Davina a vu les images, elle a dit « le film doit tourner autour de ce couple-là ». Elle a donné l’impulsion et la direction du film dès le départ. Moi, je n’avais pas ressenti cela. Sebastian m’intéressait parce que c’était le plus expressif et autant dire que pour les suisse-allemands c’est souvent compliqué…!
Avec Davina, nous avons pris le temps de composer l’histoire avec les différents chapitres, en prenant bien soin de respecter les valeurs que nous voulions véhiculer à travers le film.
Lors du premier jet de montage du film, Davina est également intervenue régulièrement en apportant ce regard extérieur très intéressant, étant donné qu’elle n’a pas assisté au tournage sur le terrain. Une fois le premier montage terminé, elle a visionné et analysé le film et m’a fait ses retours. Je me suis ensuite chargé d’apporter les modifications et on a re-mouliné le film jusqu’à ce qu’il nous convienne à tous les deux. Au final, « Out of the Blue » est vraiment notre premier film ensemble.
©Montaz-Rosset studio
Quelles ont été les contraintes et les difficultés pour filmer « Out of the Blue » ? Tu avais déjà filmé de la highline ?
La contrainte, c’est toujours le rapport au temps. Comme je ne filme pas de fictions, que rien n’est storybordé et qu’il n’y a pas d’intentions avant, une journée dure 24h, les actions ne se font qu’une fois et je n’allais pas demander aux wingsuiters de ressauter ou aux highliners de rejouer leur performance… Et puis de toute façon, ils s’en foutent un peu de moi, ils ne savent pas qu’il y a une intention de documentaire derrière.
La difficulté réside plus dans le fait d’avoir un max d’images qualitatives, avec une prise de son qualitative et essayer d’anticiper des raccords pour créer une histoire… essayer de sentir une émotion, sentir ce qu’il se passe et le retranscrire en images. Et puis, dans ce film, il y a une verticalité. Le spot est finalement petit et tout est vertical donc on ne peut pas bouger aussi facilement qu’ailleurs. La technologie nous aide beaucoup, les drones maintenant sont hyper accessibles. Donc voilà, il faut courir mais j’ai été entraîné avec Kilian du coup !
Du coup, comment se passe la production d’images ? Tu es tout seul à filmer ?
Oui je suis tout seul et j’arrive tout seul. Je voulais venir avec Davina et notre fils qui avait le même âge que le bébé dans le film. A seulement 18 mois, il est sur un portaledge, à 800 m du vide, c’est génial ! Les parents sont des artistes de cirque, ils le portent à bout de bras, au bord de la falaise avec un baudrier.
Avec moi, il y avait un jeune suisse-américain qui faisait de la photo et qui a aussi fait du drone. On s’est complété sur les images. Je lui ai demandé de faire de l’aérien et il a essayé de me donner ses images. Il m’a bien aidé et m’a apporté du contenu vraiment sympa.
Est-ce que tu t’imagines faire des choses extrêmes encore longtemps ? Qu’est ce que tu comptes faire pour la suite ? Quels sont tes futurs projets ?
Ce n’est pas la technique ou le physique qui pêchent, c’est le besoin de se renouveler. Je n’ai pas un seul film qui ressemble aux précédents, visuellement ou en termes de storytelling. C’est toujours différent et moi je suis quelqu’un qui me lasse assez rapidement, donc j’ai besoin de me renouveler. Là par exemple, l’humanité me lasse un peu, c’est-à-dire que j’ai davantage envie de me tourner vers le sauvage.
Vers de l’animalier ?
Pas forcément de l’animalier, mais sans humains dans mes films !
Es-tu déjà en train de travailler sur ton prochain film ?
Dans ma tête uniquement, oui.
Tu évoques largement l’accident de Stéphane Brosse à l’Aiguille d’Argentière dans ton film Path to Everest. Stéphane était d’ailleurs le mentor de Kilian Jornet, qu’est-ce que tu peux nous dire de plus sur lui ?
Stéphane avait une place très importante dans la vie de Kilian parce que c’était vraiment son idole. Stéphane Brosse a été multiple champion de ski alpinisme et quand Kilian était ado, c’était son Zidane. Ce n’est certainement pas par hasard que Kilian est arrivé à Thônes, puisque Stéphane habitait ici.
C’était un personnage hyper important pour lui, il avait des posters de Stéphane dans sa chambre quand il était gamin et il en parle très bien dans le film d’ailleurs. Ce n’est pas moi qui ai monté Path to Everest, mais j’ai découvert des choses qu’il ne m’avait pas dites. Par exemple, sa difficulté psychologique à surmonter l’accident… On n’a jamais échangé là-dessus. Il s’est longtemps dit « Pourquoi lui et pas moi ? ». Ça s’est joué à 50 cm près. On a revu les images avec Davina et c’est vraiment impressionnant. Ce qui a été dur pour Kilian c’était que cette traversée était à son initiative. C’est lui qui a demandé à Stéphane de l’accompagner sur ce projet. C’était son mentor au niveau sportif. Stéphane était en fin de carrière et lui dans la force de l’âge. Il se dit « si je n’avais pas été là, Stéphane serait vivant ».
Une rencontre tout en simplicité et partage, où Sébastien nous a livré ses expériences passées, ses envies, ses futurs projets et ses doutes. Si ce que vous avez lu vous a plu, nous vous donnons rendez-vous au plateau de Beauregard le 11 août, pour la prochaine projection en plein air du film « Out of the Blue », organisée dans le cadre de la programmation de films de montagne « Montagne Expériences ».